Aldo Rey |
Votre enfant intérieur a besoin que vous
lui donniez la permission inconditionnelle d’être lui-même et, dans cet ordre
d’idées, la discipline éducative que je viens d’exposer lui fera faire de
grands pas vers le rétablissement de son moi. Cependant, vous pouvez l’aider
encore davantage en lui donnant la permission d’abandonner le(s) rôle(s)
rigide(s) qu’il a endossé(s) afin d’équilibrer son système familial et de
sentir qu’il était important aux yeux des autres. J’ai déjà suffisamment parlé
des rôles et de la façon dont ils se mettent en place dans un système familial
dysfonctionnel. Vous avez commencé à permettre à votre enfant intérieur
d’abandonner ces rôles figés quand vous avez retrouvé votre moi de bambin puis
votre moi d’enfant d’âge préscolaire, et vous allez maintenant pouvoir aller
plus loin. Dans cette démarche, les rubriques suivantes pourront vous servir de
modèle général pour travailler tous les rôles que joue votre faux moi. Laissez
tomber les rôles de votre faux moi
Première étape
Tout d’abord, vous avez besoin de vous
faire une image plus claire de vos divers rôles au sein de votre système
familial. Comment avez-vous appris à vous sentir important lorsque vous étiez
enfant? Que faisiez-vous pour maintenir les liens de la famille et combler ses
besoins ? Voici quelques-uns des rôles les plus couramment adoptés: le Héros,
la Vedette, le Perfectionniste, le Petit Homme de maman, l’Époux Substitut de
maman ou l’Épouse Substitut de papa, la Petite princesse de papa, le Copain de
papa, la Complice de collège ou la Sœur de sang de maman, le Soutien ou le
Protecteur de maman ou papa, la Mère de maman, le Père de papa, le
Pacificateur, le Médiateur, l’Enfant Sacrifié, le Bouc Émissaire ou le Rebelle
de la famille, l’Incapable, l’Enfant Problème, l’Enfant Perdu, la Victime. Les
rôles sont inépuisables, mais chacun remplit la même fonction: garder le
système familial en équilibre, immobile et à l’abri du changement.
Chaque rôle fournit également à la personne
qui le joue un moyen de dissimuler sa honte toxique. Le rôle nous structure et
nous définit; il prescrit un ensemble de comportements et d’émotions. Ainsi au
furet à mesure que nous jouons nos rôles, notre moi authentique devient de plus
en plus inconscient. Comme je l’ai expliqué précédemment, au fil des ans, nous
développons une accoutumance à nos rôles.
Soutenir votre enfant intérieur, c’est lui
permettre de choisir ce qu’il veut préserver dans ses rôles et ce qu’il désire
laisser tomber. Il importe que vous lui montriez clairement que ses rôles n’ont
vraiment servi à rien. Pour ma part j’ai demandé ceci à mon enfant intérieur
blessé: «En jouant tes rôles de Vedette, de Perfectionniste et de Protecteur,
est-ce que tu as réellement sauvé quelqu’un dans ta famille !» La réponse
immédiate a été «Non». Je lui ai aussi demandé: «Le fait d’être une Vedette, un
Perfectionniste et un Protecteur t’a-t-il procuré une paix intérieure durable?»
Encore une fois, sa réponse a été «Non» ; il se sentait encore vide, seul et
déprimé la plupart du temps.
Finalement, je lui ai demandé: «Quelles
émotions as-tu été obligé de refouler afin de jouer tes rôles de Vedette, de
Perfectionniste et de Protecteur?» Il m’a répondu que j’avais dû taire ma peur
et ma colère; je devais toujours être fort, gai et positif. Derrière mes rôles
surhumains se terrait un petit garçon seul, effrayé et pétri de honte.
Deuxième étape
Vous êtes maintenant prêt à laisser votre
enfant intérieur éprouver les émotions que lui interdisaient ses rôles.
Dites-lui que c’est bien de se sentir triste, apeuré, seul ou fâché. Vous avez
déjà accompli une bonne part de ce travail dans la deuxième partie de ce livre
mais, en tant que nouveau défenseur de votre enfant blessé, vous devez lui
faire savoir qu’il a la permission d’éprouver les sentiments précis que ses
rôles rigides prohibaient. Vous lui donnerez ainsi la permission d’être
lui-même.
Il est particulièrement important que vous
le protégiez à cette étape-ci, car les sentiments refoulés sont si redoutables
à partir du moment où ils commencent à émerger qu’ils pourraient accabler votre
enfant intérieur. Vous devrez procéder lentement et lui donner beaucoup
d’encouragements affectueux. Chaque fois que nous changeons un vieux schéma
acquis dans notre famille d’origine, cela nous semble peu familier
(littéralement, c’est «non familial »). Nous ne nous sentons pas «chez nous»
dans notre nouveau comportement. Le fait d’éprouver de nouvelles émotions
semblera étrange, peut-être même fou, à votre enfant intérieur. Soyez donc
patient avec lui, car il ne se risquera pas à faire l’expérience de ces
nouveaux sentiments s’il ne sent pas qu’il jouit d’une sécurité absolue.
Troisième étape
Pour explorer votre liberté nouvellement
acquise, vous devrez chercher les nouveaux comportements qui vous permettront
d’expérimenter votre moi dans un contexte différent. En ce qui me concerne, par
exemple, j’ai fait appel à la créativité de mon adulte afin qu’il me dise les
trois choses que je pouvais faire pour échapper à mes rôles de Vedette et de
Perfectionniste. Demandez vous aussi à l’adulte créatif en vous de choisir
trois attitudes précises. Voici ce que le mien m’a proposé:
1. Je peux me rendre à un
séminaire ou bien à un atelier où personne ne me connaît et m’attacher à n’être
qu’un membre du groupe, un participant comme les autres.
2. Je peux faire un travail
médiocre pour m’acquitter d’une tâche quelconque. Je l’ai fait alors que
j’écrivais un article pour un journal.
3. Je peux seconder les
efforts d’une autre personne qui est le centre d’intérêt d’un groupe ou d’une
assemblée. Je l’ai fait en partageant l’estrade avec un collègue à Los Angeles.
Les feux de la rampe étaient braqués sur lui.
Toutes ces expériences ont été bénéfiques
pour moi. J’ai découvert comment je pouvais me sentir en faisant partie d’un
groupe plutôt qu’en étant la Vedette. Je me suis laissé le choix de ne pas
viser la perfection. J’ai pris beaucoup de plaisir à jouer un rôle de soutien
auprès de quelqu’un d’autre. Quant à mon enfant intérieur, il a aimé accomplir
ces choses. Il était si fatigué de toujours devoir être une Vedette ou un
Perfectionniste.
À cette étape, je savais que mon rôle de
Protecteur était encore plus influent, car il représentait mon moyen le plus
significatif de compter aux yeux des autres. La perspective de modifier ce rôle
était d’autant plus inquiétante. La première fois que je m’y suis attaqué, je
me suis proposé les nouveaux comportements suivants:
1. Je réduis le temps que je
consacre à la consultation de cinquante à quarante heures par semaine.
2. Je change le numéro de
téléphone de mon domicile (que j’avais donné à mes clients) afin d’obtenir un
numéro confidentiel. J’installe un répondeur téléphonique pour les consultations
urgentes.
3. Je refuse de consacrer
mes temps libres à des réunions sociales au cours desquelles j’ai l’habitude de
répondre aux questions des participants relatives à leurs problèmes personnels.
Quand j’ai adopté un de ces comportements
pour la première fois, je me suis senti coupable. Il me semblait que j’étais
égoïste. Mais petit à petit, mon enfant intérieur en est arrivé à constater que
les gens m’estimaient et me respectaient toujours. Lorsque j’ai découvert que
j’étais digne d’estime et d’amour sans devoir faire ces choses pour les autres,
j’ai franchi une étape importante dans ma croissance personnelle.
Quatrième étape
Enfin, vous devez aider votre enfant
intérieur à choisir ce qu’il désire conserver dans ses rôles. Moi, par exemple,
j’adore parler à des centaines de personnes quand je donne des conférences ou
des séminaires. Mon enfant intérieur aime raconter des blagues et entendre rire
les gens. Il aime aussi les moments où les applaudissements fusent à la fin
d’une causerie ou d’un atelier. C’est pour cette raison que lui et moi avons
décidé de continuer à faire ce travail.
Mon enfant intérieur m’a fait savoir que
je le faisais mourir avec mes rôles de Gentil Garçon, de Protecteur et de
Vedette. Au cours de mes ateliers ou de mes séminaires, par exemple, j’avais
l’habitude de ne jamais prendre de repos. Pendant toutes les pauses, je parlais
avec les gens, je répondais à leurs questions, j’essayais de les faire profiter
d’une thérapie en trois minutes et je dédicaçais des livres. Je pouvais également
rester une heure et demie de plus après avoir terminé une conférence ou un
atelier. Résultat, je travaillais parfois douze heures de suite.
Un soir que je rentrais chez moi, dans
l’avion qui me ramenait de Los Angeles, mon enfant intérieur a tout simplement
éclaté en sanglots. Je ne parvenais pas à croire que cela m’arrivait, mais j’ai
compris le message. Mon enfant intérieur voulait bien que nous gardions le rôle
de Vedette, mais le Protecteur devait s’effacer. J’ai donc effectué certains
choix qui lui plaisent. Depuis quelques années, nous nous envolons toujours en
première classe. On vient fréquemment nous chercher en limousine. Durant les
ateliers, au moment de la pause, plusieurs personnes sont chargées de s’occuper
de nous. Nous utilisons ce moment pour nous reposer et manger un fruit frais ou
toute autre nourriture légère.
Maintenant, mon enfant intérieur et moi
donnons une attention de qualité aux autres. Néanmoins, nous prenons aussi bien
soin de nous-mêmes. Et nous laissons les autres s’occuper de nous.
Nous avons
choisi d’être une Vedette, mais pas au prix de notre conscience d’être.
Nous
avons choisi de nous occuper des autres, mais nous ne sommes pas obsédés par
cette tâche.
Nous ne croyons plus que nous perdrions notre importance si nous
ne prenions plus soin des autres.
Je me préoccupe de mon enfant intérieur; je
l’appuie et je lui dis que je l’aime exactement tel qu’il est. Mon enfant ne
croit plus désormais qu’il doit renoncer à son moi authentique afin d’être
aimé.
Nous savons tous deux que la relation la plus décisive dans notre vie est
celle que nous entretenons l’un avec l’autre.
Je lui ai donné la permission d’être qui
il est et c’est cela qui a fait toute la différence.
John Bradshaw
Extraits de son livre RETROUVER
L’ENFANT EN SOI
Les Éditions de l’Homme, 2004
Les Éditions de l’Homme, 2004