mardi 18 juillet 2017

« Le sens caché des dépendances » par Olivier Soulier





Avant d’être vécue comme une difficulté, la dépendance constitue en premier lieu une phase physiologique normale du développement de l’être humain
L’œuf nouvellement fécondé, l’embryon, puis le petit enfant ne pourraient survivre si l’extérieur ne lui prêtait des moyens matériels, alimentaires et affectifs. Nous utilisons ces aides pour nous constituer.
La dépendance est donc au départ une nécessité et une bonne chose. L’extérieur pallie notre absence de moyens. Nous sommes donc au départ, dépendants, par la force des choses !

Le chemin de notre vie sera longtemps un chemin d’autonomie. C’est-à-dire un chemin pour apprendre à trouver en nous ce qui au départ nous venait de l’extérieur. 
Passer d’une dépendance nécessaire à une autonomie voulue et gagnée sur la vie : l’histoire fait fondamentalement partie de notre chemin d’apprentissage.

Tout au long de ce chemin vont se présenter de nombreux écueils parmi lesquels nous trouvons les drogues. Elles sont le plus souvent des substituts ou des déplacements à des dépendances non résolues.
En explorant le chemin de nos dépendances, nous visiterons les phases mal ou incomplètement vécues de notre existence. Quitter nos dépendances, c’est se libérer pour trouver pleinement le sens et les moyens de notre vie.


Commençons par revisiter notre histoire afin d’y découvrir de nombreux mécanismes intimes des dépendances. 
Cannabis : le grand choix
Entré dans l’utérus, l’œuf fécondé vient de parcourir tout le chemin à l’intérieur de la trompe. Pendant tout ce temps, il a vécu sur ses réserves originelles. Mais le voilà au bout : il doit soit accepter l’implantation, soit mourir. Une fois dans l’utérus, il sera nourri. Nous devons aussi garder en nous la mémoire de ce dilemme. Sans cela nous n’existerions pas !

Si nous sommes là, c’est peut-être bien parce que nous l’avons décidé. La moitié des œufs arrivés dans l’utérus ne s’implantent pas, cela veut peut-être dire que les autres ont fait ce choix. Au stade des questions sur la responsabilité et la dépendance, voilà sûrement une question importante à se poser.

La fécondation s’est faite de haute lutte et c’est entre de très nombreux spermatozoïdes que nous avons dû gagner pour être là. Pour y arriver, il nous a fallu être particulièrement décidé.
Coluche, ce sage, le disait avec tant d’humour et une si grande profondeur : « si un jour tu es déprimé, souviens-toi qu’un jour aussi tu as été le premier de 500 millions de spermatozoïdes » (il y a normalement 500 millions de spermatozoïdes en moyenne par éjaculation). Et seulement une fécondation sur quatre donnera un enfant.

Une question est alors posée : suis-je ici dépendant des décisions des autres, ou ai-je eu l’occasion de décider ? Faites vos comptes : il faut 4 lots de 500 millions de spermatozoïdes pour faire un enfant. Soit 1 seul sur 2 milliards… si cela n’est pas un choix…

Le sucre
Première et éternelle consolation. Symbole de toutes les dépendances. C’est aussi l’archétype de la dépendance alimentaire et/ou affective.
Dès son implantation, l’œuf « tombe » dans la paroi de l’utérus dont les cellules superficielles (dites déciduales) sont remplies à exploser de glycogène. Le glycogène, c’est du sucre sous forme stockée. C’est comme si notre œuf atterrissait dans un dépôt de sucre.
Ce sucre va donner de l’énergie à l’œuf à bout de réserve. Mais il va aussi coder profondément le fonctionnement de l’embryon, futur être humain.

Nous venons de voir qu’au départ, la vie est marquée par une promesse au cannabis, elle est suivie d’une abondance de sucre. Ces deux dépendances, cannabis et sucre, resteront longtemps intimement liées. Elles pourront même faire le lit l’une de l’autre.
 
Nourri au départ par le sucre de la couche déciduale, l’embryon le sera ensuite par le cordon ombilical pour tous ses besoins, avant que le sein ne prenne le relais.

Une grande partie du chemin de l’être humain consistera de passer d’une nutrition extérieure où tout lui est donné et dont il est complètement dépendant, à une situation où il sera capable d’être alimentairement et psychologiquement autonome. 
Capable de se passer d’aliments de façon prolongée, de stocker et déstocker selon ses besoins.

Les attitudes physiologiques alimentaires et psychologiques seront souvent très parallèles. Nous pourrons longtemps juger de l’indépendance psychologique sur la base du besoin de sucre ou d’autres aliments. Avec les années, les apports alimentaires vont se diversifier et la dépendance vitale et unique au sucre va se moduler en de nombreux aliments dont chacun évoquera un besoin spécifique et une dépendance possible. Pensons au chocolat, dépendance au sentiment d’être amoureux, ou à l’alcool, qui traduit notre difficulté à accéder à notre propre vérité.

D’une façon générale, chaque problématique de dépendance non résolue pourra se compenser par un élément extérieur qui se comportera alors comme une drogue. Le sucré évoque la dépendance affective, l’assistance extérieure et la dépendance permanente de l’autre.
Toutes les traditions religieuses ont compris que pour inciter à la méditation et au développement spirituel, il est souhaitable d’apprendre l’autonomie alimentaire. Ce sont les principes du jeûne, du carême et du ramadan, mais aussi l’ascèse du bouddhisme et la recherche de la voie du milieu. 




Amour et oxygène
Tout au long de la grossesse, l’enfant recevra de ce cordon alimentation et oxygène.
L’oxygène, comme nous le disait Arthur Janof, est équivalent à l’amour (Biologie de l’amour). L’amour qui m’est donné avec le sucre et tout le reste. 
Selon lui, toute carence en oxygène est interprétée par l’enfant comme une carence d’amour. Il nous renvoie là aux carences d’oxygène de l’enfant au moment de la naissance et de la souffrance fœtale qui ne sera pas sans laisser des traces. Certaines situations nous ramènent à cette période. Pensons aux apnées du sommeil d’un côté et aux amateurs de marathon de l’autre.
Le tabac doit aussi nous renvoyer à une dépendance affective, à une faiblesse relationnelle que nous tentons de compenser par le piquant du tabac. A l’heure de l’interdiction du tabac, combien pourront s’interroger dans leur histoire sur ce manque d’amour/oxygène dans leur vie relationnelle ? 

L’accouchement, la première grande épreuve et la première grande souffrance
Elle se vit en coopération intime entre l’enfant et sa maman.
En cas de souffrance trop importante, le cerveau sécrète des endorphines (morphines internes) pour nous aider à passer le cap. Les endorphines nous donnent une sensation de bonheur et de bien-être. Par la suite, il peut survenir dans notre histoire beaucoup d’autres souffrances et des sécrétions d’endorphines pour les supporter.

Prenons garde alors que l’organisme ne finisse pas par confondre souffrance et bonheur. C’est peut-être là un des mécanismes de la recherche et de la dépendance à la souffrance. Cela peut expliquer en partie la physiologie cérébrale de nos conduites répétitives, comme si nous savions qu’à un moment le malheur nous ferait du bien. 
C’est sûrement une des dépendances les plus perverses. Elle aide les enfants battus à survivre mais doit aussi un peu se cacher au fond de chacun d’entre nous, souffrances physiques, mais surtout souffrances morales. C’est aussi à cela qu’il faudra penser lorsque s’installe la dépendance aux morphines et autres cocaïnes.

D’une façon plus simple, combien d’entre nous sont des drogués du stress et de l’adrénaline ? Combien de fois avons-nous pu nous poser et nous reposer simplement dans la possibilité d’être ?
Faut-il voir un lien entre les personnes qui ont souffert et les personnalités entreprenantes aimant le risque ? La souffrance nous rendrait-elle dépendants du désir de conquête ? N’est-ce pas aussi le propre de l’être humain que de créer ses propres solutions et ses civilisations ? 

La première dépendance à la naissance, ce sont les autres.
L’enfant est totalement dépendant de sa mère et de ses parents en général. 
Totalement dominé, il nous faudra au plus vite lui donner et redonner le pouvoir sur sa vie. Mettre nos moyens à son service. Comprendre que le besoin de l’enfant commande. 
Il pourra alors affirmer au plus vite sa volonté et perdre cette dépendance au groupe que nous retrouvons chez tant d’adultes, ceux à qui on a pu dire « ce n’est quand même pas un petit enfant qui va commander ». Accepter au plus vite ses « Non » et ses prises d’autonomie. Notre peur pour eux est souvent légitime, mais néanmoins problématique en raison du maintien en dépendance. Le « J’ai peur pour eux » risque d’inhiber leurs désirs précoces de prise d’autonomie. Ce point est particulièrement délicat. 

Le temps
Il est aussi une grande dépendance dont l’origine se cache, comme le stress et le groupe, dans la petite enfance. Entre un et sept ans, l’enfant fait ses apprentissages particulièrement émotionnels, sous la gouverne de cette glande essentielle qu’est la thyroïde. Les maladies de la thyroïde renvoient souvent à des insécurités et des manques d’écoute de cette période. La thyroïde, c’est le thermostat des émotions. C’est aussi un grand régulateur du temps. Apprentissage et calme sont liés.

Prendre le temps de comprendre et de faire soi-même, mais surtout en toute sécurité, jusqu’à avoir bien intégré sa solution à soi, avec au besoin l’aide de l’autre, mais surtout à son propre rythme, à distance des « dépêchez-vous ». Passer calmement de l’instant de l’enfant au temps serein de l’adulte, parce que j’ai pu acquérir moi-même mes propres solutions. La drogue ici sera l’angoisse du temps, le « dépêchez-vous » et ces journées que l’on sur-remplit. 

Il existe encore beaucoup d’autres dépendances
Le stade anal nous en offrira encore beaucoup, ainsi l’argent et la peur de manquer. Souvenons-nous toujours que l’argent est un équivalent de la peur de manquer d’affection. La peur de manquer couplée à la dépendance affective sera un très bon pourvoyeur de risque d’obésité.
Toutes les rigidités et besoins de sécurité (propreté, règle, orthographe, horaire, rangement) nous renvoient à un besoin de sécurité datant de ce stade, à des manques que nous cachons.
 
La dépendance à la propreté et la peur des microbes peuvent tourner à la phobie. Les phobies sont souvent des drogues qui cachent des dépendances. Souvent des difficultés de séparation. Au fond, notre organisme a bien compris que le microbe a, par la maladie qu’il pourrait déclencher, un rôle mutateur et testeur de notre état.
Certains sont dépendants de la politique ou de la tradition, des bonnes manières même. Au fond, qu’est-ce qui ne vient pas originellement de nous et dont nous n’arrivons pas à nous passer ? 




Comment avancer
En fait, naturellement, la nature va utiliser l’extérieur tant qu’elle en aura besoin, puis progressivement s’autonomiser comme un fruit mûr cherchant à créer un nouvel arbre. Dès qu’un être aura eu son compte d’aide extérieure, il pourra s’en passer.  
Remplir un besoin sert à quitter la dépendance. Il pourra alors y avoir passage du relais et transfert du pouvoir. Dès que la structure extérieure a bien fait son travail, il est possible sans difficulté de quitter la dépendance.
Concrètement, on lâche un besoin extérieur dépendant dès qu’il a joué son rôle structurant et autonomisant. 
La question face à une dépendance est « en quoi ce principe n’a pas été respecté ». 
N’ai-je pas assez reçu, ou cela ne m’a-t-il pas été donné comme j’en avais besoin, ou encore cela m’a-t-il été donné pour entretenir ma dépendance ? 

On retrouve le « donner pour recevoir » si fréquent et le « avec tout ce que j’ai fait pour toi… ». Qui a pu avoir intérêt à ce que je sois dépendant ou avoir eu peur que je sois autonome ?
Dans ce transfert progressif de compétence qu’est l’autonomisation, l’amour et la générosité de celui dont on dépend au départ sont les grands moteurs d’une transmission saine. 

De la dépendance à la drogue
Nous passons ainsi de la dépendance à l’autonomie. Sur cette route, la vie va nous proposer de nombreuses drogues chimiques ou sociales. Chaque drogue est un substitut à une dépendance de base non résolue. Un lieu de transfert sur une molécule ou une habitude d’une phase d’autonomie émotionnelle non acquise. Regardons avec attention et cherchons à comprendre. 

De la dépendance à la passion de vivre
Nous avons donc été construits avec l’aide de structures extérieures. Et progressivement nous nous en détachons pour devenir autonome et faire notre propre vie. Nous sommes aussi conscients que notre héritage transgénérationnel représente un poids et peut devenir une dépendance dans le sens de notre vie. Le chemin est aussi à faire à ce niveau.
Mais beaucoup d’entre nous ont des attitudes qui peuvent s’apparenter à des dépendances mais qui en fait peuvent être positives, favoriser notre épanouissement. C’est que l’être humain a besoin de passions pour vivre et qu’une fois débarrassés d’un besoin impératif venant de l’extérieur ou d’une dépendance, nous pouvons choisir nos besoins.

C’est le passage de la dépendance aux choix et aux passions de la vie, ces dépendances non plus héritées, mais choisies, qui sont en fait nos grands moteurs de vie, les lieux des engagements, ce qui nous motive et nous fait vivre.
Un sport, un art, une création, un développement, sa famille, ses amis et ses amours, tout ce qui fait les moteurs de vie et qui fait que nous sommes des êtres humains faisant avancer le monde. 

Et derrière tout cela… à quoi ça sert ?
A la différence des animaux qui sont totalement déterminés et programmés, l’être humain n’est pas fini. Un animal n’a pas de choix et n’a pas de dépendance. Il s’inscrit comme un maillon dans une chaîne de la vie. Personne ne parlerait pour cela de dépendance, mais de place et d’équilibre.

L’être humain, lui, naît d’abord totalement non fini physiologiquement et ainsi totalement dépendant. Il lui faut au moins un an pour marcher et aller chercher seul sa nourriture. Bien sûr, une part de notre physiologie est comme celle de l’animal, déterminée biologiquement, mais la plus grande part s’apprend, s’écrit. D’un autre côté, l’être humain est en soi rempli d’espérances, de désirs et d’aspirations. C’est sa part supérieure, spirituelle.

Entre les deux, il y a l’homme et son histoire. Entre animal et Dieu, avec une si grande part à écrire. C’est cette part qui aura au départ besoin d’aide extérieure, avant de se reprendre en charge d’elle-même. Avant que l’adulte puisse écrire seul sa propre histoire, sous sa propre responsabilité.

La responsabilité est ici un mot essentiel et une grande question qui se pose au niveau de la dépendance. Un être libre et autonome peut poser des actes pleins et entiers, mais en même temps il en est pleinement responsable. Alors qu’une personne dépendante n’est pas vraiment responsable de ses actes et de ses choix.

La liberté se paie ainsi d’un lourd tribut de responsabilité et d’un risque d’angoisse et de peur de se tromper. Le tout nous étant soigneusement évité par la dépendance, surtout si elle est la plus large ou la plus lointaine possible. 
« C’est la faute des autres » nous aide souvent. C’est la faute des autres, est aussi « le véritable début de la maladie, qui commence à l’instant où nous justifions par l’extérieur le malaise intérieur » nous disait Samuel Hahnemann. C’est peut-être la peur de la responsabilité qui peut nous faire encore choisir la dépendance. 

La liberté est essentielle à l’être humain
Elle donne un sens à sa vie. Elle permet de faire évoluer l’humanité. C’est quand l’être humain a quitté les dépendances qu’il peut commencer à écrire sa vie et à faire avancer le monde. Responsabilité et autonomie sont intimement liées.

Quitter les moteurs hérités pour choisir les moteurs de notre propre vie. 
Article d’Olivier Soulier http://www.lessymboles.com/
Trouvé sur:
http://etredivinaufeminin.blogspot.fr/2014/08/le-sens-cache-des-dependances.html