lundi 22 septembre 2014

« Mettre sa part d’ombre en lumière » par Réjane Ereau


Lars Van de Goor


Des côtés sombres, nous en avons tous. 
Par quelle alchimie peut-on parvenir à les mettre en lumière et les métaboliser en une énergie constructive, plutôt que destructrice ?


Accueillir

Égoïsme, jalousie, timidité, agressivité, trop ceci, pas assez cela… 
Ce qui mijote en nous n’est pas toujours de notre goût. Parfois au contraire, nos forces sombres semblent nous satisfaire, nous aimons nous y complaire. Faut-il les réprimer, de peur de ne plus être aimé, ou bien leur céder, en les laissant nous définir ? 
Pour la thérapeute psychocorporelle Caroline Jeannet, la clé est d’abord « d’accueillir ce qui est là », sans jugement, mais sans se laisser emporter.
 
Vous êtes en colère ? « Ah ! Je suis en colère. » Vous détestez telle personne ? « O.K., j’éprouve de la haine. » Une remarque vous blesse ? Notez la tension qui se crée dans votre corps. Est-elle nécessaire, maintenant ? Que pouvez-vous faire pour y remédier ? 
Respirer, vous masser le ventre ou les mains, relativiser... Traquez vos réactions avec curiosité, arrêtez de les estampiller « négatives », comprenez qu’elles sont simplement le fruit de circonstances, qu’il n’y a pas la vilaine ombre d’un côté et la belle lumière de l’autre : chacune a le pouvoir de faire de vous un être complet.  
« Si nous nions notre peur, nous minimisons notre courage. Si nous nions notre cupidité, nous réduisons d’autant notre générosité », note Debbie Ford. 
Plutôt que de les « mettre sous le tapis », reconnaissez leur existence ; c’est déjà un moyen de les dompter, d’éviter qu’elles vous rongent de l’intérieur ou vous explosent brutalement à la tête. Ayez envie de les débusquer, relevez le défi d’agir sur ces ombres plutôt qu’elles agissent sur vous.



Comprendre

Une fois ces ombres repérées, « identifiez leurs fonctions, c’est-à-dire les raisons pour lesquelles elles sont là », indique Caroline Jeannet. 
Car loin d’être des démons intérieurs auxquels on ne peut échapper, ce sont des « dragons protecteurs » mis en place dans l’enfance, en réaction à certaines expériences blessantes : soumission ou agressivité édifiée pour survivre dans un milieu violent, façade dure pour masquer une hypersensibilité…
 
L’ombre est une part de notre identité construite dans des moments de difficulté. Normaux pour un enfant, ces mécanismes n’ont très souvent plus lieu d’être à l’âge adulte. Assumez la responsabilité de chercher à les comprendre, de ne plus vous cacher derrière. « En contactant la souffrance de l’enfant, vous donnez du sens et de l’empathie à l’attitude qu’elle a engendrée », et commencez à la déconstruire. 
Prenez aussi conscience de vos stratégies de défense. 
Êtes-vous dans le déni total de vos parts sombres, ou plutôt dans le reniement – vous les connaissez mais les rejetez ? 
Êtes-vous dans la projection, le rejet de la responsabilité sur l’autre, ou dans une identification à 100 % à vos ombres, au point de vous dire : « Je suis nul, je ne vaux rien » ou de passer à l’acte, en devenant le jouet de votre Mister Hyde ? 
Observez également comment votre comportement change en fonction de votre degré de fatigue ou du contexte social. Vous êtes timide, mais sur une scène de théâtre, vous vous galvanisez et osez tout ? 
Vous êtes plus vaste que vous ne l’imaginez, alors cessez de vous conformer à l’image que vous vous êtes forgée de vous-même.


Explorer

Fermez les yeux, détendez-vous, accédez à un état favorable à l’ouverture de conscience. En « héros courageux », posez l’intention de plonger dans « l’énergie de vos ombres pour voir ce qu’elle révèle », conseille le thérapeute psychocorporel Félix Haubold. 

Listez les défauts que vous détestez et les mots qui vous blessent : leur charge émotionnelle est révélatrice. 
Quelles sont les 5 choses que vous n’aimeriez pas qu’on écrive à votre propos ? 
Notez aussi celles qu’on pourrait dire sans que cela vous touche. « Ne sont-elles pas toutes des vérités ? », suggère Debbie Ford. 
Réfléchissez : quelles sont les croyances qui dirigent votre vie ? Comment sont-elles nées, sous l’influence de quelles personnes ou de quelles circonstances ? 
De quoi vous protégez-vous (et vous privez-vous) en les perpétuant ? 
Essayez d’identifier l’événement originel, afin de le dépasser et d’ouvrir la cage à la partie de vous qui s’y est cristallisée. Si c’est difficile, n’hésitez pas à vous faire accompagner.
 
Traquez aussi les comportements qui vous agacent ou vous interpellent chez les autres : ils sont souvent le miroir de ce qu’on refuse de voir en soi. 
Pourquoi vous perturbent-ils ? A quoi réagissez-vous ? Dans quelles situations avez-vous fait preuve d’une attitude similaire ? 
Petit à petit, vous commencerez à percevoir en vous un microcosme entier. 
Impossible dès lors de morceler, de porter des jugements péremptoires… 
Embrassez vos peurs, acceptez votre vulnérabilité, prenez le risque de vous ouvrir, de vous découvrir. Aussi déstabilisante qu’elle paraisse, cette mise en mouvement – comme la mise en mots de ce que vous ressentez – fera sauter vos carcans.


Métamorphoser

S’amorce alors « un processus alchimique », dit Caroline Jeannet. 
Prenez Milarepa ou Gandhi : à force de persévérance, ils sont parvenus à transmuter l’énergie de l’humiliation et de la vengeance liée à leur histoire personnelle, en une force d’amour et de paix. 
Dotez vos parts d’ombre de personnalités : Mathilde la timide, Gaspard le vantard… Imaginez leur physionomie, leur façon de parler, de se comporter. Elles vous seront d’emblée plus sympathiques ! 
Demandez-leur ce qu’elles ont à vous apprendre, de quoi elles ont besoin. La moutarde vous monte au nez ? Dites-vous : « Voilà Jojo le coléreux ! » Vous n’osez pas donner votre avis ? « Revoici Louise la soumise ! »

Cette mise à distance est opérante ; vous commencerez à devenir spectateur de vous-même, à percevoir vos ficelles, à vous en dégager. 
Si l’émotion est trop forte, écrivez-la, peignez-la « pour engager le corps, la créativité et le plaisir », explique Caroline Jeannet – ou, comme le propose Debbie Ford, tapez sur des coussins ! 
Au bout d’un moment, la charge émotionnelle se tarira, ou une facette plus profonde de cet aspect de votre personnalité se révélera, qui vous éclairera peut-être sur son origine.

Puis cherchez les qualités de chacune de vos sous-personnalités. « L’agressivité, par exemple, recèle une puissance », indique Caroline Jeannet.
 
Aller reconnaître la force nichée à ces endroits permet à celui qui parvient à canaliser cette part de lui-même de la récupérer et de l’utiliser. 
L’ombre peut être l’expression excessive d’une qualité, alors « baissez un peu le volume », conseille Debbie Ford, mettez-y de la souplesse et du cœur, vous en percevrez le potentiel. 
Et reprenez le pouvoir en imaginant une interprétation constructive de la raison pour laquelle cette ombre a émergé. Ainsi, Debbie Ford confie avoir longtemps eu un problème avec la laideur parce que son père, lorsqu’elle était enfant, l’appelait « face de souris ». Cette perception l’a minée, jusqu’à ce qu’elle décide de confronter l’humiliation et de la convertir : ces mots n’étaient-ils pas un signe d’affection, un moyen de la préparer à la rudesse du monde réel ?


Intégrer

Tout se joue ensuite au quotidien. « Les nouveaux chemins, pour être efficaces, doivent s’ancrer organiquement dans la tête et le corps », explique Félix Haubold. Créez-vous « des temps et des espaces » où vous immerger dans le plaisir de voir, de percevoir, de vous sentir vivant : vous faire couler un bain, partager la compagnie d’êtres aimés, sentir votre respiration s’ouvrir au gré d’un massage ou une larme couler à la lecture d’un roman, vous ménager un moment de silence le matin, en posture de méditation ou en sirotant votre thé… 
« Il n’y a pas de recette », à chacun de trouver sa manière de se ressourcer, de se découvrir là, présent, complet.
Puis reconnectez-vous régulièrement à cet état de conscience, car « nos parts d’ombre évoluent en permanence », rappelle Caroline Jeannet.

Petit à petit, cette « proximité à soi » permet de mieux réagir aux aléas, de ne plus chercher à être « parfait » – ce qui reste la conformité à une norme – mais intègre, en pleine cohérence par rapport à soi, aux autres, aux circonstances. 
Dans cette unité, un étrange processus se met en place. Voyez comment votre justesse transpire dans chacune de vos attitudes, comment cette fluidité permet à l’entièreté de votre être de s’exprimer, sans crispation ni heurt. Alors vous rayonnez, sans même chercher la lumière. 



La part d'ombre du chercheur de lumière, Debbie Ford
Éditions J'ai Lu (Octobre 2010 ; 249 pages)




Article rédigé par Réjane Ereau pour Inrees.com http://www.inrees.com