lundi 14 avril 2014

"Chamanisme et psychanalyse" par Philippe Lenaif


Un des intervenants du sommet de la conscience qui se déroule en ce moment et jusqu’à demain. Enfin après demain, puisque les conférences sont rediffusées pendant 24h après. 




"Dans cet article, je vous propose d’aborder le chamanisme par le regard de la psychanalyse.

Pour commencer, comment fonctionne l’homme ?
Le CA, le MOI, le SUR MOI et le Soi
Petits rappels freudiens et jungiens.
Le destin cosmique de l’homme est de grandir en conscience, en transformant de l’énergie matérielle (nourriture) en énergie psychique.
Chaque être humain, au moment de son incarnation, est avant tout un réservoir colossal d’énergie de Vie – comparable au Ça freudien. 
Jour après jour, il va devoir harmoniser la manifestation de cette Vie au travers de ses pulsions, de ses instincts, de ses besoins, de ses désirs, avec le principe de réalité qu’est la densité terrestre.
La rencontre de cette manifestation libre et débridée de l’énergie avec la densité et les lois terrestres va créer des frictions qui seront vécues comme des frustrations concourant à élaborer le Moi freudien. La réponse aux besoins de conservation de la Vie n’étant pas systématique et instantanée, le Moi va grandir dans l’apprentissage de la frustration due à la réalité terrestre. Le processus de croissance de la conscience commence.


Ce processus de croissance est complété par les règles de vie en société, le système éducatif, l’environnement socioculturel, la religion,… qui va constituer le Sur Moi freudien : outre la réalité de la densité terrestre, les règles de vie en société vont elles aussi apporter leur lot de frustrations.
En résumé, mon réservoir d’énergie, ma force de Vie, va se heurter dans son expression d’une part à la réalité terrestre et d’autre part à la culture de l’humanité qui va m’enseigner ce qui est bien et ce qui est mal, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire. C’est ce processus qui va m’apprendre le monde, construire mon adaptation à mon environnement.
En principe, la sagesse de la communauté qui m’accueille dès la naissance devrait faire en sorte que cette adaptation à ma nouvelle nature (d’être incarné sur terre) se passe pour le mieux. C’est malheureusement de moins en moins le cas.

Pourquoi ?
Le cerveau reptilien, le cerveau mammifère, le cortex.
En cours d’apprentissage, je traverse des évènements où la non réponse immédiate à mon besoin représente un danger pour ma survie, à 2 niveaux.
Le premier, physique, si ayant faim je ne trouve pas de nourriture – à terme, je meurs.
Le deuxième, physico-psychique, si étant frustré, je n’arrive pas à dissiper l’énergie contenue dans l’émotion qui naît de ma frustration – elle va stagner et dégrader peu à peu ma vitalité (au sens large).
Exemple :
Prenons une proie en prise avec un prédateur. Une colossale quantité d’énergie est produite  afin de garantir sa survie et de là, la pérennité de la Vie.
Face à l’ennemi, trois possibilités :
- l’attaque
- la fuite
- la paralysie
Dans les deux premiers cas, l’énergie est utilisée, consommée.
Dans le troisième, elle est bloquée : un pied sur le frein, l’autre sur l’accélérateur.
Je suis tout en tension à la périphérie du corps et totalement anesthésié de mon ressenti intérieur : si l’autre me croque, même pas mal – la nature est bien faite !
Si le prédateur dédaigne une proie apparemment morte et qu’il s’en va, dans les secondes suivantes, je vais lâcher le frein, et bondir de toute mon énergie retenue, les gaz à fond : sauts de cabri dans tous les sens !!!
Ça, c’est ce qu’à prévu notre cerveau reptilien depuis l’époque des âges farouches.




Malheureusement, nous avons développé notre cortex et notre capacité à réguler et censurer nos réactions instinctives et l’expression de nos émotions.
Dans notre apprentissage à faire face à la frustration, on nous entraîne à postposer la réponse à notre besoin/désir. C’est une des fantastiques possibilités de l’homme grâce à son cortex et sa capacité inhibitrice. 
Malheureusement, on nous invite rarement à revenir sur nos frustrations pour terminer le processus en cours, c’est-à-dire libérer l’énergie retenue jusqu’à lors et ainsi éviter le refoulement. Un peu comme si on privait la proie de ses sauts de cabri salvateurs, ce qui aurait pour effet de maintenir en elle une part d’anesthésie, de figement, de mort.
Très rapidement, pour raison de paix collective, on fait tout pour ne pas nous laisser la place pour exprimer notre frustration.
 
Plus la culture d’une société est grande, plus son niveau de civilisation est élevé, moins il y de la place pour l’expression des émotions résultant de ma frustration.
A chaque fois que je rencontre un évènement à l’issue duquel je ne peux pas dissiper mon énergie (exprimer mon émotion), celle-ci s’installe en moi. En même temps, en fonction de la qualité de l’émotion refoulée, un sens, une interprétation sont donnés à l’événement. C’est cela qui construit progressivement ma représentation subjective intérieure du monde.
Plus cette image, cette représentation se construit et se complexifie en raison des émotions refoulées, plus elle m’éloigne de la réalité énergétique de la Vie.
Vu que c’est l’environnement socioculturel qui est responsable de la privation de l’expression de mon émotion, il agit comme un système d’exploitation informatique et me formate dans son langage propre afin que je puisse interagir correctement avec le reste du monde. 
Ainsi, je deviens prisonnier d’une interprétation collective qui me tient de plus en plus loin de la réalité énergétique du monde.

Pourtant, une part de moi comptabilise toutes les doses d’énergies non dissipées. Cette part de moi, écologique, cherche à faire le ménage dès qu’elle en a l’occasion. Ainsi, inconsciemment, elle va s’arranger pour recréer la situation dans laquelle j’ai échoué afin d’avoir une deuxième chance pour dissiper toute l’énergie cristallisée en moi et, ainsi, faire un «reset» sur les parts d’anesthésie, de figement, de mort… accumulées.
 
On peut dire cela encore autrement : d’un point de vue purement physique, action égale réaction. Toute tension en moi va générer de la tension dans mon interaction avec le monde.
Ainsi, tout chaos intérieur (même refoulé et inconscient) va appeler, partout où je me trouve, une réponse chaotique de l’extérieur. Ce désagrément devrait – au bout d’un temps plus ou moins long et dépendant de ma volonté, de subir en victime ou d’agir en responsable – me pousser à désirer mieux pour moi, plus confortable, plus paisible, plus fluide. 
D’autant que si je ne m’occupe pas de toutes ces parts d’énergie refoulée, de tous ces chaos intérieurs, de toutes ces petites morts, tout mon être va finir par me le rappeler par tous les moyens, allant de désagrément psychologique à l’accident ou la maladie graves. 
En revanche toute paix réinstaurée en moi va générer de la paix dans mon interaction avec le monde.
Malheureusement, une autre part de moi cherche à garantir ma survie en évitant de me confronter à toute situation inconnue, l’inconnu contenant en soi en permanence, potentiellement, une issue fatale. Dès lors, si j’ai survécu jusque-là, c’est que toutes mes réactions ont été salvatrices – même si certaines ont été peu élégantes ou ont manqué totalement d’écologie pour mon être. 
Ainsi, plutôt que de m’inventer une nouvelle issue à une situation que je connais bien, je vais choisir ce que je connais de mieux et qui a l’avantage de m’avoir maintenu en vie jusqu’à présent. Et dans certains cas, ce que je connais le mieux, c’est éviter de m’exprimer, préférant refouler l’énergie plutôt que de me mettre en danger dans une attitude nouvelle dont j’ignore la réponse que l’environnement m’opposera et qui pourrait bien m’être fatale.
Ainsi, la société «moderne» dans laquelle nous vivons, nous privant de la nature saine de nos réactions instinctives pour raison de «civilisation», nous invite à sur-traumatiser et à aggraver la vision subjective et déformée de la réalité plutôt qu’à nous libérer et accéder à l’objectivité de la nature dans ce qu’elle représente comme énergie pure. C’est ainsi que l’homme est prisonnier de son passé : chaque pas qu’il croit faire vers son futur se fait dans les traces des pas laissées derrière soi.

Et le chaman ?
Que cherche-t-il ?
C’est un guerrier qui cherche la liberté, qui tente de conquérir son futur en effaçant son passé.
Mais pour s’attaquer à son passé, à sa propre histoire, il doit affronter l’inconnu.
C’est-à-dire se re-confronter avec l’issue systématiquement improbable des événements dans lesquels il a, une ou plusieurs fois, échoué à dissiper son énergie.
C’est ainsi qu’il choisit de se confronter quotidiennement avec la mort.

Qu’est ce qui le sécurise ?
L’Instinct et l’Esprit.
Malheureusement, notre culture nous coupe rapidement de nos instincts, de notre animalité, et par ailleurs, les rituels religieux qu’on nous propose et par lesquels on devrait avoir la possibilité de faire l’expérience du divin, de l’Esprit, sont devenus stériles.
L’instinct parle de la nature de la Vie et l’Esprit en donne le sens.
Ce sens qui fait tellement défaut dans l’analyse occidentale des maladies.
Selon Carl Gustav Jung (et d’autres), les névroses naissent d’une perte de connexion aux instincts, mais également de manque de sens, de rituel, de connexion à l’Esprit, c’est-à-dire de nourriture pour l’âme.
Le chaman, aligné entre sa connexion aux Instincts et sa relation à l’Esprit, se veut être l’artisan de la rencontre avec la totalité de lui-même.

Qu’est ce qui lui permet de faire ça ?
Il a une structure psychique psychotique (*) : il a donc une blessure psychique qui fait de lui un dissocié.
Mais contrairement aux psychotiques habituels, il a une constitution telle qu’il est maître de sa folie et qu’il l’utilise comme une arme de guerrier.
Alors que le psychotique, lui, est débordé par sa blessure et erre entre deux mondes, le chaman s’y identifie, s’en laisse déborder afin de pouvoir l’exprimer totalement et ainsi dissiper l’énergie cristallisée dans ses tissus.

(*) Au fil du temps, les auteurs qui se sont penchés sur la nature psychique du chaman l’ont d’abord décrit comme un psychotique pour arriver à une définition qui fait relativement l’unanimité, à savoir qu’il serait un expert en crises d’hystérie dissociative «contrôlées». C’est donc un être à part qui vit des états psychiques extrêmes tout en restant structuré, agissant et aidant pour ses pairs, là où tout être normal vivant le même état psychique serait déstructuré, à  la dérive et dans le besoin d’aide de ses pairs.

C’est au nom de ces raisons que CG Jung a dit : seul un chaman est capable de descendre seul dans son ombre et d’en ressortir indemne. Lui-même, bien qu’ayant présenté tous ses travaux sous une forme scientifique, avait une nature de chaman pour s’être aventuré de la sorte dans son auto-découverte par les rêves.

Voici ce qu’en pense Juan Ruiz Naupari, chaman andin.

Le chamanisme essentiel (extraits).
Le chamanisme était anciennement pratiqué par une élite sacerdotale, il y a 500 ans. Ce que nous connaissons au Pérou à l’heure actuelle n’est pas le chamanisme authentique parce qu’il n’intègre plus le travail d’auto-découverte.
Nous pouvons comparer le chamanisme actuel à la médecine officielle où le praticien tente de trouver une solution à la maladie à travers une substance chimique sans arriver à l’essence de la maladie.
Pour le chamanisme andin, il y a trois niveaux dans lesquels se découvrir :
– le monde spirituel,
– le monde d’ici et maintenant, des actes et des pensées de la vie quotidienne,
– le monde de l’ego, le plus dense.
Le chaman sait que ces trois mondes existent extérieurement et intérieurement.
Les chamans modernes restent dans le deuxième monde sans aborder le thème de fond.
De plus, évitant le monde supérieur du spirituel et de l’Esprit, il n’y a pas d’analyse du subconscient pour découvrir l’ego.
Auparavant, il existait un chamanisme de haut niveau de conscience, basé fondamentalement sur l’auto-découverte, qui allait plus loin que ces actions de magie ou de sorcellerie qui se pratiquent communément aujourd’hui et qui n’ont rien à voir avec ce que fut le chamanisme essentiel qui existait à des époques anciennes dans tous les coins de la terre.
Le chamanisme moderne a abandonné le travail psychologique et spirituel parce que cela requiert un effort. Pour aller à la recherche de l’auto-découverte et aller vers d’autres sphères spirituelles, il faut de l’énergie.
Nous avons tant de tentations dans le monde physique, tant d’occupations et de
préoccupations que nous nous coupons fortement de cet objectif qu’est le travail
intérieur.
Or il nous faut viser cet objectif et ce dessein doit être inébranlable…
S’il n’y a pas cet objectif considéré comme sacré, nous mourrons sans avoir expérimenté le beau, sans avoir expérimenté l’amour. L’amour pour lequel nous sommes venus ici sur Terre.
Le chaman qui ne se fixe pas cet objectif pourra voir les serpents, les jaguars, les muses, mais il ne pourra pas voir l’Essence de l’Esprit, il ne pourra par réaliser un excellent travail d’auto-découverte. 


Chaque émotion non dissipée se transforme en cristallisation qui freine progressivement la circulation de l’énergie vitale en nous. Peu à peu, nous perdons de l’énergie, de la vitalité, de la santé physique, psychique, spirituelle.
Le chaman, effaçant peu à peu l’emprise de son passé en faisant face à la mort et à l’inconnu, dissout ses agrégats d’énergie, retrouve de plus en plus de vitalité, diminue progressivement l’emprise de l’interprétation collective subjective du monde et revient au contact de la réalité énergétique de la vie.
- C’est grâce à cette capacité à «voir» la réalité qu’il peut percevoir les troubles énergétiques des ses patients.
- C’est grâce à sa capacité à s’identifier totalement aux émotions dans ses crises d’hystérie dissociative qu’il peut s’identifier aux émotions refoulées de son patient et à tout son vécu.
- C’est grâce à son extraordinaire vitalité, au «pouvoir» conquis en effaçant son histoire personnelle qu’il peut intervenir dans la bulle d’énergie de son patient et y opérer des changements.
C’est au nom de ces raisons que ne devient pas chaman qui veut, et qu’il serait injurieux d’assimiler un pied tendre qui a fait trois week-ends de découverte du chamanisme avec un guerrier qui traque sa liberté en frôlant sa mort psycho-spirituelle jour après jour.

La quête proposée par le chamanisme de se libérer du filtre subjectif de la réalité que nous impose notre histoire pourrait se définir en psychanalyse comme l’accès au Soi jungien en ayant totalement fluidifié puis dissout Moi et Sur Moi.

En fait, c’est le chemin de tout homme, chaman ou non. La différence tient dans la conscience de ce chemin, de l’intention pour le faire, et des moyens pour y arriver. C’est là que la structure psychotique du chaman est un atout considérable, car là où il se laisse sombrer dans la crise en ayant foi dans l’issue (grâce à sa «folie contrôlée»), le commun des mortels est tétanisé par peur de voir sa structure psychique exploser dans l’épreuve.
De ce fait, le commun des mortels parcourt ce chemin vers la liberté de manière forcée et contrainte par les évènements et les charges émotionnelles qu’il rencontre et subit, alors que les chamans vont au devant de leur destin.
Philippe Lenaif

Article paru pour la première fois dans le journal du Centre 77, Aksanti n°6 – 2008

Une vidéo de Tal Schaller à propos de l’ouverture de conscience de l’humanité
«  Nous vivons un moment extraordinaire de l’histoire humaine : nous participons à la naissance d’une humanité consciente ! Après des siècles d’ignorance de notre nature spirituelle, nous comprenons enfin que nous ne sommes pas des êtres de matière mais des êtres de lumière, immortels, éternels et dotés de potentiels créateurs fantastiques ! Un nouveau monde s’ouvre alors pour nous, un monde de fraternité, d’unité dans la diversité et de la joie rayonnante des êtres éveillés, conscients ! »