lundi 26 octobre 2015

« Il était une fois… » Magali Magdara





Il était une fois un homme. 
Cet homme avait la particularité de vivre seul, isolé sur une terre aride et rouge où seuls, la poussière de la terre et les rochers accompagnaient ses journées. 
De hautes montagnes entouraient cet îlot desséché que le soleil cuisait de ses rayons ardents. Aucun nuage pour apaiser un peu l'étau brûlant de ce désert. 
Mais l'homme s'en contentait.

Quel âge avait-il ? Difficile à dire. Et puis, quelle importance puisqu'il n'avait personne pour se refléter dans son regard. Était-il beau, laid, blanc, jaune ou noir ? Il ne savait plus. 

Il était, et puis voilà. Il avait tout ce dont il ressentait avoir besoin : une cabane rustique, c'est vrai, mais qui le protégeait quand il faisait trop chaud et lui donnait un endroit confortable pour dormir et manger. 
Il ne manquait de rien car, chaque jour à son réveil, il trouvait de la nourriture et des boissons  posés sur sa table pour satisfaire sa faim et sa soif. Il ne se posait pas de question. Et puis, il ne se souvenait de rien. Qui était-il, d'où venait-il et comment était-il venu ici ? Le vide. Il se sentait en sécurité. Il était bien.


Son paysage désertique remplissait ses jours avec la poussière qui tournoyait légèrement autour de sa cabane. Nulle végétation, nulle faune pour agrémenter les heures qui s'écoulaient immuables et intemporelles. 
Pourtant, l'homme s'était accommodé de tout cela. Il en était d'ailleurs presque content.  

Il passait ses journées à ciseler les rochers autour de chez lui. Avec un marteau et un burin qui le suivaient partout, il dessinait des formes de pierre issues de ses rêves. 
Car, chaque nuit, il rêvait de paysages aux couleurs chatoyantes et d'animaux au poil luisant. 
Dans sa cabane modeste, il ne disposait d'aucun papier ou crayon. Alors, il avait trouvé ce moyen pour faire apparaître ses compagnons de nuit. Partout sur les rochers autour de chez lui, il les contemplait avec plaisir et réconfort. 
Vraiment, il pouvait dire qu'il était satisfait et qu'il n'avait aucune envie de changer quoi que ce soit à sa vie.

Un jour, il se passa quelque chose d'étrange. Du ciel se mit à tomber des gouttes de pluie. Un petit peu au début, puis de plus en plus. D'abord, cela ne le gêna pas, mais quand il vit que son paysage familier se transformait en boue informe, il sentit monter en lui une colère rageuse. Son chez lui ! C'était Son Chez Lui ! Il y tenait, il le connaissait par cœur ! 

Pourquoi ? Pourquoi ? Prenant une grande respiration pour se calmer, il se réconforta en se disant que le soleil allait réparer tout ça, qu'il retrouverait tout comme avant. 
Oui, il allait aller dormir, et quand il se réveillerait, ce serait comme avant. La tête lourde de tristesse et d'incompréhension, il s'endormit. 

Au réveil, il courut ouvrir sa porte. Et là, devant le spectacle qui n'avait pas changé, il éclata en sanglots.  C'était injuste, trop injuste ! C'était Sa vie, Sa vie qui était partie pour toujours ! 
De rage, de désespoir aussi, il rentra chez lui pour se cloîtrer dans son amertume. 
Le jour où il aperçut le soleil briller dans le ciel dégagé, il reprit espoir. 
Mais son regard ne retrouvait rien de ses habitudes. Même la couleur de la terre avait changé. Il se senti mal, rejeté par la vie. Le désespoir s'insinua en lui et le projeta à terre.
Il en était encore à se lamenter quand un bruit anormal le sortit de son cauchemar. 
Devant lui se tenait une lumière intense, frémissante. Très lumineuse et prenant tout le champ de son regard, il n'y voyait aucune forme. 
Seules des couleurs arc-en-ciel y dansaient, telles des flammes crépitantes dans un feu de bois. Des phrases s'inscrivirent dans son esprit.
"Sèche tes larmes, apaise-toi. Voici maintenant la réalisation de ce pourquoi tu as choisi de venir."
 
La lumière déclina et disparut devant lui progressivement. 
Il ne restait que l'homme seul, un peu hébété et hésitant sur ce qui venait de se passer. 
Il avait dû s'endormir. Il venait de rêver. Oui, bien sûr. 
Pourtant, il avait une impression bizarre, une sensation de réconfort. 
La boue devant lui le ramena à son présent. 
Haussant les épaules, il rentra dans sa cabane pour ne plus réfléchir.
 
Le lendemain ne le vit pas sortir. Ni les jours suivants. Dehors, quelque chose se passait. La terre bougeait imperceptiblement, s'ouvrait et se balançait doucement.
 
A l'intérieur de la cabane, l'homme ne restait pas inactif. 
Malgré tout ce que lui disait son esprit, il ne pouvait s'empêcher d'espérer. Quoi ? 
Il ne savait pas, il espérait, c'était tout et pourtant, c'était tellement
Lui qui n'avait plus rien, il espérait. Et il croyait quand même que la vie ne pouvait être si injuste. N'est-ce pas ? 
Alors, il façonnait des outils avec le bois et le métal que des inconnus lui apportaient pendant son sommeil. Il ne décidait pas de la forme, il laissait ses mains caresser les fibres du bois et assembler ce qui lui paraissait correspondre.
 
Un matin, il sentit un appel. Il sortit sur le pas de sa porte et s'immobilisa, stupéfait.
A la place de la terre sèche, cuite et désolée se déployaient des arbres verts, leurs branches tendues fièrement vers le ciel. A leurs pieds frémissaient de l'herbe souple, et des fleurs offraient leurs couleurs arc-en-ciel aux insectes de passage.

Émerveillé,  il contemplait son nouvel environnement. Il n'en revenait pas. 
De ce qu'il avait pris pour une malédiction au départ, il recevait un cadeau qu'il n'aurait jamais pu imaginer. 
L'esprit étourdi par ce changement, il s'assit sur le pas de sa porte pour regarder. 
Et soudain, il se rappela. 
Il était jardinier ! 
Un jardinier envoyé ici pour préparer la terre à sa transformation.
Et le cœur joyeux, il ne se sentit plus jamais seul. 
Autour de lui se déploya la vie avec sa diversité et sa complémentarité, plus rien ne restait immobile. 
L'homme s'était trouvé, la vie lui avait donné ce qu'il avait toujours recherché : 
le sentiment de s'accomplir à chaque instant.