dimanche 12 octobre 2014

« Les plantes au service de la civilisation » par le Dr Franck Gigon







« Notre époque est inquiétante mais nous avons une bonne raison d’espérer… grâce aux plantes.
Car à l’heure des scandales sanitaires et agroalimentaires, de la fin imminente des antibiotiques, de l’essoufflement de l’industrie pharmaceutique et du gouffre abyssal de l’assurance-maladie, les plantes, dans leur silence assourdissant, nous font des appels du pied, de grands clins d’œil et des sourires aguicheurs.
« On est là ! Coucou ! Réveillez-vous les humains ! On n’est pas rancunière. Pourtant, de mémoire antédiluvienne de plante, on n’avait jamais vu pareille espèce s’employer à massacrer ses propres ressources. En un petit siècle seulement, vous, les deux pattes, avez été sans égal pour nous déforester, nous piller, déverser sur nous les plus improbables cocktails de la pétrochimie, tenter de nous breveter ou nous disséquer tous azimuts au nom du progrès !
Mais non, on ne vous en veut pas !
La preuve, nous pouvons vous apporter sur un plateau ce dont vous avez besoin pour prévenir et traiter vos maladies de civilisation. Celles-là mêmes qui vous malmènent, vous font souffrir, vous rongent et raccourcissent vos vies déjà courtes ! Il suffit de demander ! »
Mais qu’est-ce qui permet, en 2014, de fonder de tels espoirs sur de simples végétaux ? Les médicaments high-tech seraient-ils dépassés ?

LA PLANTE MÉDICINALE, FIDÈLE AMIE DE L’HUMANITÉ DEPUIS LES ORIGINES !


Les hominidés des temps les plus reculés se soignaient par les plantes. Des traces de camomille ont été retrouvées sur des dents d’hommes de Neandertal, pourtant carnivores notoires. La camomille étant une plante amère et sans qualités nutritives, l’homme de Neandertal la consommait très probablement pour des raisons de santé. On pourrait alors considérer ces chasseurs-cueilleurs comme les tout premiers phytothérapeutes. À moins que ces traces de camomille n’aient été issues de la panse d’animaux consommée, ce qui est évoqué par certains experts et tout à fait possible.

Mais on est par contre certain des riches pharmacopées végétales attachées aux différentes civilisations depuis Sumer, les Aztèques, l’Égypte Antique, l’époque gréco-romaine, l’Âyurveda, la médecine traditionnelle chinoise, et plus près de nous par les préceptes d’Hildegarde de Bingen. 
À l’époque de nos parents et de nos grands-parents, l’usage des plantes était « par nature » incontournable et primordial.
Ainsi, jusqu’au milieu du XXe siècle, les plantes avaient encore pignon sur rue et faisaient partie de l’arsenal thérapeutique de tout bon médecin. La plante était un acteur direct incontournable des propositions de soins depuis l’origine de l’humanité.

Les choses changèrent à l’occasion des deux guerres mondiales. Un modèle industriel inédit s’est développé, avec les progrès inouïs de la chimie de synthèse, dans tous les pays occidentaux.
Pratiquement toutes les industries des armes chimiques et bactériologiques (gaz moutarde, Zyklon B, neurotoxiques) ont été reconverties après-guerre en entreprises de salubrité publique. Ce sont elles qui devinrent par la suite les géants de la pharmacie en France et en Allemagne !
Car c’est bien de l’ingénierie de l’armement que sont nés des modèles industriels de recherche, toujours en application de nos jours pour le meilleur… et pour le moins bon !
Mais c’est ainsi. « La guerre est la mère de toute chose » disait le philosophe grec Héraclite. Elle a souvent motivé des avancées scientifiques et technologiques de premier plan. L’avènement des molécules de synthèse, qui s’est fait dans la foulée des progrès incontestables dans l’hygiène, la santé et l’alimentation, en est un exemple.
Les médicaments sont les enfants prodigues et chéris de cette période de progrès technologique sans précédent… exit alors la médecine herbeuse de grand-papa !


POURQUOI LES PLANTES ONT DISPARU
Oui, pourquoi ? Elles auraient pu coexister avec les médicaments issus de la chimie de synthèse.
Les plantes étaient-elles à ce point inefficaces qu’elles méritaient une disgrâce immédiate ?
Un aparté ici pour signaler que cet état de fait ne concerna que les pays occidentaux développés. En effet, ni la population indo-asiatique ni les pays en voie de développement ne se sont départis de leur tradition multimillénaire de plantes médicinales.
Il est en effet très commun de penser que l’abandon de l’usage des plantes médicinales au profit des médicaments, au cours du siècle dernier, s’explique par l’efficacité supérieure de ces derniers. Mais si cela est indiscutable dans des domaines comme l’urgence ou la cardiologie, l’explication du basculement intégral de la médecine en faveur du médicament trouve ses sources ailleurs.

Il tient à la différence entre plante médicinale et médicament.
Une plante médicinale est constituée d’un ensemble de principes actifs naturels. Le médicament, lui, n’en concentre qu’un seul issu de la chimie de synthèse.
Première conséquence : un principe actif naturel n’étant pas brevetable par définition, du moins encore pour l’instant, fort heureusement, un industriel ne perdra donc ni son temps ni son argent pour un produit qui serait efficace, mais sans exclusivité d’utilisation pour une période donnée.
On le comprend aisément : qui serait assez fou pour dépenser une somme astronomique afin de valider un produit… immédiatement utilisable par tous ses concurrents ?

Cela explique la nécessité pour tout industriel d’inventer « sa » molécule originale brevetable pour profiter d’une rentabilité exclusive, avant qu’elle ne tombe dans le marché public et soit accessible à la concurrence. Quitte à bricoler (souvent) une molécule d’origine végétale afin de se l’accaparer pour un retour sur investissement. (Soit environ 70 % du Vidal, la référence des médecins français en matière de médicaments).
Deuxième conséquence : pour passer sous les fourches caudines de l’autorisation de la mise sur le marché (AMM), donnant lieu à sa classification en médicament, à son remboursement et sa validation comme traitement par les instances sanitaires, le prétendant, qu’il soit une plante ou un médicament, doit subir des expérimentations successives (test de toxicologie, essais cliniques…).

La recherche, le développement et l’aboutissement d’une seule molécule de synthèse sur le marché demandent plusieurs centaines de millions d’euros (on parle de 200 à 800 millions d’euros !) pour un médicament concentrant un seul principe actif.
Imaginez un instant le coût pour une plante médicinale dotée de plusieurs principes actifs. Vous multipliez ce coût par autant de substances actives présentes dans la plante, plus l’étude nécessaire des interactions entre les différents ingrédients qui se surajoutent au financement.
Il est donc presque impossible pour les plantes médicinales d’obtenir le statut de médicament. Ce fait pourrait expliquer à lui seul pourquoi elles ont été mises sous l’éteignoir à partir du XXe siècle.

Trop compliquées, trop chères à étudier, sans possibilité d’exploitation exclusive, les plantes médicinales ont souffert de leur grande complexité biochimique et de leur non-brevetabilité… et non pas d’un manque d’efficacité par rapport aux médicaments, comme on le croit encore trop souvent ! 
C’est parce qu’elles sont trop sophistiquées pour la médecine moderne de masse qu’elles ont été largement abandonnées.
Ni le modèle économique ni le modèle d’étude de la molécule de synthèse ne sont adaptés à la plante médicinale.
N.B. Quelques laboratoires ont réussi à obtenir une AMM allégée en mettant en exergue l’action d’un seul principe actif d’une plante (exemple : millepertuis) au prix d’un substantiel investissement.

LE « TOUT MÉDICAMENT », C’EST FINI !… VIVE LA PLANTE !
La référence de notre médecine moderne est la vision pasteurienne de la médecine que l’on peut résumer ainsi : « une maladie est déterminée par une cause, elle-même déterminée par un mécanisme biologique qui peut être corrigé par un principe actif ».

Cette conception présente l’immense avantage de se focaliser sur une substance active unique agissant sur les divers organismes biologiques. C’est surtout une simplification mécanistique qui a favorisé le développement d’études cliniques prospectives et la production/diffusion d’un traitement standardisé, censé bénéficier à une large partie de la population.
Quelle que soit la spécialité concernée, ce modèle de traitement pharmacologique représente aujourd’hui le socle et la base de tout raisonnement et de tout traitement médical en Occident.
Seulement voilà, notre désenchantement actuel est à la hauteur des espérances portées par cette vision. Oui, bien sûr, le médicament marche ! Mais pas toujours. Et parfois, cela coûte cher… dans tous les sens du terme.

Ensuite, ce modèle de pensée induit et promeut uniquement une recherche scientifique obnubilée par une réponse monomoléculaire à toute pathologie (une maladie, un mécanisme, une molécule). Et de ce point de vue, autant le médicament excelle dans les pathologies sévères où son recours demeure indispensable, autant il montre ses limites et ses faiblesses dans les pathologies bénignes et fonctionnelles (ex. : spasmes) ou souvent son rapport bénéfice/risque s’inverse avec l’apparition d’effets secondaires fréquents et parfois graves.

Ne nous cachons plus derrière notre petit doigt, c’est malheureusement la face sombre du médicament qui se révèle ces dernières années avec un nombre croissant de toxicités enregistrées (iatrogénicité), une recherche dispendieuse aux ordres du marché et axée sur des besoins non prioritaires ou sans avantage thérapeutique… mais lucratifs (payée par notre sécurité sociale).
Enfin, cette façon de traiter réduit trop souvent le patient à l’expression unique de sa maladie. Cela aggrave la déshumanisation du milieu médical régulièrement dénoncée.
L’industrie pharmaceutique représente un système à bout de souffle qu’il importe de réformer et de dépasser. Nous vivons bien la fin de l’ère du « tout médicament ».

LA PLANTE MÉDICINALE : DE LA DÉCHÉANCE… À L’ANOBLISSEMENT !
Il est surtout temps de prendre conscience que les plantes médicinales ont fait peau neuve ces deux dernières décennies et qu’elles se révèlent à nous sous un nouveau visage.
De cette mue, une nouvelle phytothérapie est née, moderne et résolument installée dans le paysage des solutions de soin.
S’appuyant sur une nouvelle expertise scientifique pour analyser les principes actifs des plantes, appelée pharmacognosie, cette science réactualisée a permis de corroborer enfin les allégations des plantes médicinales traditionnelles, d’en découvrir de nouvelles et de s’écarter de certains végétaux pour leur trop grande toxicité.
En mettant au jour des familles biochimiques spécifiques et inédites catégorisant différentes propriétés des ingrédients végétaux, des plantes se sont même vu attribuer de nouvelles vertus curatives ou de prévention pour la santé. Et comme la phytothérapie commence dans l’assiette, on retrouve évidemment ces mêmes familles biochimiques au cœur des aliments qui promeuvent la santé (nutrithérapie).
De surcroît, en comparaison avec les médicaments réservés à une médecine de pays riches, ces ressources végétales, d’origine locorégionale pour la plupart, sont souvent faciles à produire et bon marché, permettant un accès très large.
Mais le meilleur est à venir… Les plantes médicinales ont dans leur grande majorité des effets pléïotropes, c’est-à-dire « des effets multiples simultanés et positifs sur nos organismes ».


LA PLANTE EXERCE DES BIENFAITS MULTIPLES
Prenons l’exemple du curcuma, ce cousin du gingembre. Il n’est connu chez nous, au départ, que comme une simple épice d’un jaune intense à la base de célèbres préparations condimentaires comme le curry, le Chutney ou le Colombo.
Malgré une utilisation traditionnelle multi-millénaire dans toute l’Asie du Sud-Est, en Indonésie et en Afrique, son intérêt sur la santé était largement méconnu il y a peu encore en Occident.
Des milliers d’études ont été publiées à son sujet depuis 10 ans. Ses pigments polyphénoliques, appelés curcuminoïdes, ont révélé des propriétés anti-inflammatoires et antioxydantes de premier plan.
Ils préviennent et traitent aussi significativement les pathologies dites de civilisation : cancer, diabète, pathologies auto-immunes cardiovasculaires et neurodégénératives.

Oui : une seule plante agit simultanément à tous ces niveaux ! Aucun médicament ne peut et ne pourra jamais en dire autant. Et ce n’est pas tout.
Le curcuma soutient activement toutes les cellules de l’organisme avec une mention spéciale pour celles du foie. En ce sens, il nous protège des attaques des divers polluants de l’industrie pétrochimique et des dommages causés par les rayonnements. Tout cela et bien d’autres choses encore avec un lot d’effets indésirables faible et bénin… avec un recul de 6000 ans !

La synthèse de 4000 études sur le curcuma relève pas moins de 580 avantages sur la santé exprimés par ses polyphénols !
Il est tout simplement hallucinant d’appréhender tout le potentiel thérapeutique que ce petit tubercule ocre peut nous proposer. On peut même affirmer qu’à la lumière de toutes les publications qui attestent de ces propriétés positives sur notre santé, ne pas les utiliser serait soit un acte de déni, soit de la non-assistance à personne en danger. 
Certains auteurs ont estimé le manque à gagner de l’industrie pharmaceutique par l’utilisation du curcuma en substitution des drogues à effet équivalent… à 1000 milliards de dollars. Pas mal, pour une plante qui pousse librement dans la terre.

Le cas du curcuma pourrait sembler unique, mais les exemples sont nombreux. La cannelle, le romarin, le gingembre sont déjà sur les traces de la désormais fantastique racine jaune par les publications qui s’amoncellent à leur sujet.

Pourquoi absorber des molécules de synthèse très chères à produire, potentiellement pourvoyeuses d’effets indésirables alors qu’il existe souvent une réponse végétale éprouvée, simple et dénuée de risque ?
En d’autres termes, les plantes médicinales nous fournissent incontestablement une alternative sérieuse aux médicaments pour les situations bénignes fréquentes, ainsi qu’en prévention et en soutien de nombreuses pathologies chroniques.
Basée sur une approche de terrain, l’utilisation bien menée des plantes médicinales retrouve donc un regain d’intérêt vis-à-vis du grand public et une forte légitimité scientifique dans de nombreuses indications médicales pour un coût mesuré.
« La nature est le médecin des malades», disait Hippocrate… Il est toujours temps de s’inspirer de cette sage maxime ! »
Franck Gigon
"Santé Nature Innovation"